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L'amitié enfantine

textes concernant l'amitié enfantine glané dans le site psychologies.com

30 juillet 2016

« Les affinités électives entre enfants existent dès la crèche. Mais les interactions sont encore assez prédatrices, m’explique Danièle Brun, psychanalyste et auteure de La Passion dans l’amitié (Odile Jacob, 2005). L’un convoite le jeu de l’autre, le lui arrache des mains. L’amitié, en tant que sentiment, s’élabore davantage avec l’entrée à l’école et l’accès au langage. » Deux jours après, mon fils me parle d’un autre enfant, Noé : « Ce matin, c’était mon copain, mais après, il a enlevé son manteau, et c’était plus mon copain. » Pourquoi Jérémie et pas Noé ? Pourquoi le matin et pas l’après-midi ? Les amitiés enfantines sont tellement versatiles. Quand deviennent-elles sérieuses ? « Mais tout de suite, comme tout ce que font les enfants ! me répond la psychanalyste. Elles sont sérieuses, en dépit – et même en raison – de leur grande versatilité, qui leur permet d’explorer diférentes facettes d’eux-mêmes et des relations humaines. »

« Nous sommes toujours amis pour quelque chose. Et d’abord, pour ne pas être seuls », me dit Danièle Brun. J’ai toujours ces mots à l’esprit en discutant avec Annie, enseignante en petite section de maternelle. « En début d’année, la grande affaire des tout-petits, c’est d’apprendre à se séparer de leur famille, raconte-t-elle. Les premiers jours, il y a beaucoup de pleurs, l’angoisse est trop forte pour permettre la création de nouveaux liens. Mais peu à peu, les enfants trouvent du réconfort auprès d’un autre qui leur ressemble ou qui les complète par davantage d’assurance. »

Pour parvenir à se séparer, il leur faut apprendre à aimer ailleurs et autrement que papa et maman ou que leurs frères et sœurs. Comme chez les adultes, « l’attirance se joue souvent à la première impression, dans une image qui demeure longtemps dans le souvenir », observe Danièle Brun. J’essaie de comprendre, en interrogeant Shaïnez, 5 ans, ce qui lui a plu chez Emma. « La première fois que je l’ai vue, se rappelle-t-elle, c’était dans la cour. Je l’ai demandée comme copine parce que je la trouvais bien. Elle a de grands cheveux jaunes. Je joue à les mettre sur ma tête. » Au-delà de sa chevelure, Shaïnez aime Emma « parce qu’elle joue bien et elle me choisit toujours ». Avait-elle deviné cette loyauté au premier regard ? Possible. Quoi qu’il en soit, « dès qu’ils entrent dans la classe, les petits cherchent leur copain ou leur amoureuse, confie Annie. Et même s’ils changent en cours d’année, ces liens leur apportent un sentiment de sécurité qui favorise les apprentissages ».

J’ai un autre petit garçon en CE1. Ses histoires d’amitié me donnent le sentiment qu’avec l’entrée en primaire les relations s’organisent dans un rapport de force perpétuel, à grand renfort de « Tu fais ça, sinon t’es plus mon copain (ou ma copine) ». Avec mon fils, la menace opère. Récemment, le petit garçon qui partage son pupitre lui a interdit d’écrire plus vite que lui, sans quoi… il ne serait plus son copain. « Mais toi, lui ai-je demandé, tu veux être son copain ? » « Non ! » « Eh bien alors, pourquoi tu lui obéis ? »

Les amitiés poussent à s'affirmer

« Dans l’amitié, la réciprocité n’est pas toujours au rendez-vous, m’expose la psychanalyste. Les tempéraments se révèlent, les uns s’affirment comme des meneurs, les autres, plus sensibles, ont plus de mal à faire valoir leurs désirs. » Mon fiston est confronté à cet apprentissage et je tente de l’aider. Copain, pas copain, ces alternances correspondent en outre à « des mouvements pulsionnels de fond, une ambivalence amour-haine constitutive de l’amitié même entre adultes, mais que les enfants expriment sans parvenir encore à les canaliser », traduit Danièle Brun, avant de citer Freud : « Il écrivait, en substance, qu’il a “toujours eu besoin d’un ami à aimer et d’un ennemi à haïr, les deux étant souvent réunis dans la même personne”. » Mais il y a plus : à l’école primaire, on voit s’affirmer des phénomènes de bandes. « Elles s’organisent autour d’un enfant charismatique, auprès duquel gravite le second couteau, un troisième qui convoite sa place, et d’autres qui s’intègrent à leurs jeux parce qu’ils y trouvent leur compte d’amusement », décrit Annie, l’enseignante.

L’intégration d’un enfant dans la bande est soumise à négociations collectives. Elle constitue pour lui une épreuve parfois fluide, parfois difficile. Mais qui le construit « en le renvoyant à son image : est-ce qu’on m’aime bien ? À ses valeurs : avec quels comportements suis-je d’accord ? À sa représentation de l’amitié : qu’est-ce qui me fait du bien, du mal ? » énumère Danièle Brun. Adam, 8 ans, me rapporte : « À la cantine, je laisse passer ma sœur devant moi, et là, mes copains me disent qu’on n’est plus copains. » En phase de latence, il convient de tenir les filles à distance – la réciproque est vraie. La norme du groupe confronte Adam à son éducation. Il fait son choix vaillamment, en accepte le prix. « La manière dont l’enfant trouve sa place dans la bande trace des schémas qui se répéteront plus tard, dans ses amitiés d’ado, d’adulte, et dans sa vie professionnelle », ajoute la psychanalyste. « Il faut se préoccuper d’un enfant qui n’a pas de copains, indique la pédopsychiatre Catherine Jousselme, auteure avec Patricia Delahaie de Comment aider son enfant à bien grandir (Milan, 2012). Cela signifie généralement qu’il n’a pas assez confiance en lui pour aller spontanément vers les autres. »

Comment, parents, pouvons-nous nous situer pour aider l’enfant à vivre au mieux ses aventures amicales ? « En évitant d’être trop interventionnistes », préconise Catherine Jousselme, pédopsychiatre. Savoir s’interposer dans des relations difficiles sans s’immiscer dans leur vie affective, l’équilibre est à trouver. « Dans tous les cas, il ne faut pas leur imposer des liens dont ils ne veulent pas, recommande la psychanalyste Danièle Brun. Forcer des amitiés, suggérer des amourettes, c’est faire intrusion dans leur intimité. » Il n’y a pas non plus à interférer dans une amitié qui se termine. « Elle prend fin quand le temps de sa dissolution est venu, quand l’enfant a accompli ce qu’il était venu expérimenter », indique-t-elle encore. Pour autant, il nous revient de préserver autant que possible leur sphère amicale, « un facteur de stabilité dont les parents méconnaissent parfois l’importance, en décidant de faire sauter une classe à leur enfant ou de le changer d’établissement ».

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